mardi 30 mars 2010

Berlin/ Tiia and Jaan/ Fall 2008/







I met with Tiia and Jaan in my neighbor hood of Prenzlauer Berg in Berlin. We visited the Jewish Cemetery on Schönhauser Allee/

mercredi 10 mars 2010

ESTONIA/ WINTER AT MUTIKU/ 2008/





The first time I visited Jaan Kaplinski's place it was winter. We had a walk up the hill of his property: Mutiku, which is located in south Estonia. Tiia, his daughter in law, was giving his grand child a ride on a sleigh. Jaan described me all the different trees, plants, flowers and colors you could see in the summer time/

mardi 9 mars 2010

Aurélie Galois / Entretien à propos de la genèse du film : The Kaplinski System/

Je souhaitais parler de la genèse du film d'une façon plus formelle qu'en éditant une suite d'images. Le Système Kaplinski est un film sur la rencontre des mots et des images, étant à l'aise avec ces dernières, j'ai préféré commencer par les mot, pour voir.
J'ai donc demandé à la journaliste Aurélie Galois de m'interviewer sur la genèse du film. Lui laissant comme seuls éléments de préparation mon travail photo qu'elle connaît très bien et le teaser du film.



Paris / Fin 2009/

Qui est Jaan Kaplinski ?
On peut dire que Jaan Kaplinski est écrivain, penseur, poète, linguiste, père de famille, ou encore que Jaan Kaplinski est l’un des plus grands poètes et penseur de l’Europe de l’Est, c’est vrai et incomplet à la fois. Il n’y a pas de réponse directe à cela, en tout cas ce n’est pas le but de mon film.
Ton film ne sera t-il pas un portrait ?
Si bien sûr, mais au travers duquel je questionne la notion d’identité de chacun, celle de Jaan autant que la mienne, car c’est quelque chose qui est en changement constant.
Ce vers quoi je tends, c’est de proposer une sensation de Kaplinski. Tout comme lorsqu’on est devant un paysage : on ressent le vent sur notre visage mais on ne peut pas vraiment le décrire, on voit ici un arbre et là un monticule de terre, on peut décrire mais on ne peut que difficilement partager ce que l’on ressent. Pour moi c’est la sensation que j’ai du tout qui en fait l’expérience qu’on a de ce paysage. C’est pareil pour le portrait de Jaan.

Comment as-tu fait sa connaissance ?
Je voyage en Estonie depuis 2002 et j’ai d’abord découvert ses écrits, il y a environ 4 ans. J’ai acheté un recueil de poésie traduit en anglais « Evening Brings Everything Back », dont les textes ont tout de suite fait échos à des questionnements personnels que j’exprimais en images. Puis j’ai lu un recueil en français traduit par Antoine Chalvin : Le Désir de la Poussière.
Chez Kaplinski c’est la poésie des mots pour traduire l’intraduisible. Les interstices du monde. Au fur et à mesure des lectures je sentais que nous suivions un chemin similaire.

Et de ces recueils au film, quel fut ton cheminement ?
Après mon livre de photo About Estonia, j’ai voulu faire un travail plus général sur l’Estonie, mais en vidéo, quelque chose de moins docile que les images fixes, de plus complexe aussi, avec du son, de la musique, des bruits et surtout du mouvement. Parmi les personnes que je souhaitais intégrer au projet il y avait Kaplinski, j’ai donc demandé à le rencontrer. Nous nous sommes vus quelques fois pour parler du projet, faire connaissance. C’est alors que j’ai compris que je le rencontrais à un moment crucial de sa vie, un turning point: il avait décidé d’arrêter d’écrire des poèmes. En tant que réalisateur, ça m’a paru primordial de recentrer le sujet de mon film sur lui, de faire un portrait de Jaan à ce moment là de sa vie. De plus rien de majeur n’a encore été fait sur lui.

Que pense-t-il de ce projet ?
Il me semble qu’il est curieux et touché. Il en a peur aussi, ce qui est normal.

Pourquoi ce titre, le « Système Kaplinski » ?
Ce film est l’histoire d’un homme qui a réussi à déjouer beaucoup de systèmes : celui de l’Union Soviétique, celui des langues - il est linguiste et en parle une douzaine - et de la société occidentale contemporaine de manière plus générale. Mais comme tout homme, il est en lutte contre son propre système, il essaie de s’échapper continuellement de ses propres murs. Kaplinski, c’est un évadé des systèmes. Un peu comme un lièvre qui galoperait en zigzag dans un champ alors que les chasseurs sont à sa poursuite. Il s’en sort toujours. Sauf qu’au moment où je le rencontre pour le film il est son propre chasseur.

Pourquoi a-t-il accepté ton projet selon toi ?
C’est une histoire de confiance. Parce que ce film arrive à un moment où Jaan est prêt à transmettre certaines idées, expériences. Le fait que je soi étranger à sa culture, à son milieu et aux questions politiques de son pays me permettent d’avoir un regard neuf sur Jaan. Comme dis Tiia, sa femme, je suis comme un anthropologue qui ne connaitrait rien à une tribu et l’observerait sans même en comprendre le langage. Je prends des notes, compare des résultats, remet en question mes idées reçues...etc. Mais cela ne fonctionne que parce qu’il y une base de confiance au départ. Je crois aussi que Jaan est un grand curieux et qu’il s’est dit: pourquoi pas !

Que vas-tu filmer ?
Comme je disais plus tôt je prends des notes, des éléments qui me permettront, au montage, de créer une sensation de Kaplinski, un portrait à facettes multiples. Donc je filmerai les différents moments de la journée de Jaan et sa famille, le bain dans l’étang le matin, la coupe de l’herbe à la faux, les activités des petits enfants dans la propriété des Kaplinski. Des entretiens avec Jaan et d’autres intervenants comme l’historien David Vseviov, le compositeur Veljo Tormis ou encore le sémiologue Mihhail Lotman. Tous ces moments et petites actions qui font la journée d’un grand homme. Et sous le couvert de ces différents moments, apparaîtra les questionnements de Jaan ainsi que les miens.

On dit qu’un portrait est autant celui du regardé que du regardant. Es-tu prêt à te livrer toi aussi ?
Tu as raison. Je pense que c’est peut être moi qui appréhende le plus. Les enjeux sont plus importants pour moi ; lui n’a pas grand-chose à perdre. Sa carrière est déjà bien avancée. Ce film, c’est une manière de mettre noir sur blanc qui je suis. D’une certaine manière je me mets à nu en mettant Jaan Kaplinski à nu. Je me questionne sur l’homme que je suis, que je pourrais être, sur mes désirs, mes rêves, en quelque sorte je fais moi aussi face aux murs qui m’entourent. Ce film me permettra certainement d’en escalader quelques-uns.
Avec ce film, j’ai quelque chose à écrire.

C’est à dire ?
Ce film va m’aider à trouver une écriture qui m’est propre, à travers mes images, qui se complètent, certainement, avec les mots de Kaplinski. C’est au fil des projets et des différents chemins que je parcours, que je découvre cette écriture. Et le passage par ce film en est une étape importante.

Découverte et pas confirmation ?
Oui, car cette écriture qui se dessine est différente de celle que j’ai fantasmé, celle d’un cinéma plus classique qui correspond à ma culture cinéphilique. Avec ce film, je suis dans le faire, dans le réel. Tu vois directement le résultat, et je suis plus physique qu’intellectuel. C’est comme quand tu peins : tant que tu ne mets par tes couleurs sur la toile, tu peux fantasmer ce que tu veux mais une fois commencé, c’est autre chose, et c’est là que c’est intéressant.

Précisément, quel cinéma t’a nourri, t’influence encore ?
Les classiques : Tarkovski, Bergman, Cassavetes, Epstein et bien d’autres. Ils ne sont pas classiques pour rien. J’ai une culture cinématographique plutôt d’avant 1980. A partir de mes 15 ans j’ai commencé à en visionner des centaines de films, que je consignais dans des carnets, on faisait des compétitions avec mes amis du lycée : voir tous les films de la programmation d’un festival par exemple... Bref, quand on est ado on a du temps. Mais ceux qui reviennent toujours sont Orson Welles et Robert Frank. Welles surtout pour ses derniers projets avant-gardistes comme F is For Fake. C’est un grand illusionniste, avec un côté très populaire qui me fascine. Cela donne des «grandes images», des «grands moments» de cinéma. Or Mon cinéma traverse les grandes images, il ne s’y arrête pas.

Pourquoi ? Est-ce volontaire ?
Ce que je sais, c’est que je ne veux pas faire des grandes images _ que je trouve parfois totalitaires au sens où l’on n’est pas obligé d’accepter ce qui se passe. Du genre : «Regardez, regardez bien comme c’est un moment magnifique !» Et puis on s’arrête là, on ne va pas plus loin. J’ai envie d’aller plus loin. C’est là que je rejoins Frank et m’éloigne de Welles.
C’est quelque chose qui peu à peu s’impose à moi. Les belles images, c’est mon démon. Jusque là je me confortais dans le « faire des belles images », je voulais prouver que je sais en faire. Bon ben ça y est, je sais que je sais. Le travail sur ce film va m’aider à sortir de ça. Tout du moins à explorer autre chose.

Kaplinski en personne pourrait t’y aider ?
Oui mais de manière détournée. Par ses textes il le fait déjà. Mais c’est surtout par ce qu’il me propose lorsque je le filme : inconsciemment ou consciemment il me propose de filmer autre chose que ce qui est attendu sur lui. Il sait que je suis preneur de ces moments et me pousse à les filmer. Par exemple le portrait de lui les bras le long du corps que l’on voit à la fin du teaser du film.
C’est donc toujours et encore d’aller vers la sensation de quelque chose plutôt que son l’explication.

Tu es photographe ou cinéaste ?
Je suis un faiseur d’images, un terme avec sa dimension artisanale qui me va bien. Au fil des photos et des films que je fais, « no matter what » je fais des images. Chaque outil, chaque technique m’ouvre le champ des possibles et me donne de la liberté. Et avec tout ça j’écris mes poèmes et mes histoires. Je transmet quelque chose de mon expérience à d’autres, à ceux qui prennent le temps de regarder, d’écouter, de contempler.

Tu utilises le numérique ?
Oui et c’est ça qui me libère aujourd’hui. Je rate, j’essaie, je défriche, je rebrousse chemin. Le cinéma est en train de murir vers une nouvelle ère grâce au numérique qui permet de filmer des moments « qui sont en train de se faire » et non pas décisifs.
Le numérique n’est qu’un outil de plus, il ne permet pas d’être plus talentueux, ou d’avoir plus d’imagination. Mais il y a une démultiplication des possibles et des «ratages» avec une liberté de retour en arrière qui, certes peut nous perdre, mais aussi offre cette possibilité de travailler l’ébauche, l’esquisse, le moment en dehors de l’oeuvre totalement finie et cela de manière plus directe qu’avant.
Aujourd’hui on est encore dans le «produit fini» et on croit que le numérique nous permet de faire des produits encore mieux finis qu’avec l’argentique par exemple. Mais ce qu’offre le numérique, c’est de ce temps de travailler la matière même du film : de travailler le temps. Et avec du temps, il se crée toujours quelque chose d’intéressant.

Pour toi, qu’est-ce qu’un poète ?
C’est le Petit Prince, ce mélange d’un homme et d’un enfant. La poésie est le travail très sérieux d’un adulte qui a le regard d’un enfant. Le poète appartient physiquement au monde mais son regard flotte, neuf, léger. Pour moi c’est ce qui caractérise tout artiste. C’est aussi la raison pour laquelle je suis insensible à un art trop intellectuel.

Où est l’enfant en toi ?
Dans ma curiosité, ma façon de regarder le monde, mais aussi dans l’acceptation de qui j’ai été et qui je suis. Lorsque je décris mon travail photo et filmique je dis ceci en référence au Petit Prince : je distingue deux types de regardeurs : ceux qui voient un chapeau à bords plats et ceux qui voient un boa qui a avalé un éléphant. Et cela fait bien longtemps que je ne vois plus de chapeaux.